Là où les chiens aboient par la queue, Estelle-Sarah Bulle

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C’est un récit polyphonique qui se déroule entre la Guadeloupe et Paris, un récit familial fait de souvenirs contés.

J’ai tout de suite aimé le rythme. Dès les premières pages, l’autrice nous plonge dans l’ambiance de Morne-Galand, ce village en Guadeloupe, ce « nulle-part », « encore aujourd’hui, les Guadeloupéens disent de Morne-Galant: « Cé la chyen ke japé pa ké », en français, c’est là où les chiens aboient par la queue« .

On comprend rapidement qu’Antoine va être le personnage fort du récit. Antoine, c’est la tante, une femme au caractère bien trempé, indépendante et libre.

Puis, chacun des membres de la famille s’exprime. Chacun-e raconte à sa manière son rapport avec les autres membres, avec Paris, avec la Guadeloupe, leur lien avec leur vieux père resté là-bas, ce que ça fait de partir.

C’est un livre magnifique, du début à la fin. La plume est belle, les personnages attachants, tout est cohérent. J’ai terminé ce roman en pleurant.

C’est un énorme coup de cœur.

Je suis quelqu’un, Aminata Aidara

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C’est une histoire qui commence par la révélation d’un secret de famille, l’existence d’un enfant illégitime mort-né.

C’est l’histoire d’Estelle et de Penda, sa mère. Ce roman nous emmène dans leurs vies à elles deux.

La manière dont elles vivent leurs vies de femmes, en dehors de leur rôle de fille ou de mère. Elle nous emmène dans leurs doutes et leur souffrances. Il s’agit d’un récit intime de deux femmes.

Elles nous parlent chacunes à la première personne et certains chapitres sont contés par une narratrice omnisciente.

J’ai aimé la manière dont, très vite, Estelle, décrit sa mère, son courage. Le courage qu’a eu sa mère de poursuivre son bonheur, son amour. On a l’habitude que cela soit décrit comme une attitude émotionnelle dénouée de raisonnement logique. Ici, Estelle le décrit comme du courage « Partir comme ça, sans préavis. Abandonner tout et tout le monde pour suivre un homme, avoir le courage de le faire. » p. 50. Ce changement de perspective sur une situation de vie qui pourrait pourtant être décrite comme irrationnelle est beau.

La trame du livre est la souffrance engendrée par ce secret. Pour Estelle, c’est la découverte de ce secret, ou sa re-découverte. Pour la mère, c’est l’absence d’un enfant, le choc de sa perte et l’idée, qu’il ne serait pas mort mais enlevé. On ressent le poids de ce secret sur les relations familiales et sur les souffrances personnelles des personnages ainsi que l’impact d’un tel événement sur l’inconscient et le trauma engendré. A titre personnel, je suis persuadée que ce type de secret peut avoir des conséquences sur intergénérationnelles et que le dénouement de ces situations peut épargner des souffrances futures.

Penda nous parle également de son amour, nous suivons ses questionnements amoureux et l’attente d’un homme, Eric, pas assez mature pour assumer ses responsabilités et laisser de côté son égo-trip (oui, Eric m’a énervé et j’ai eu de la peine à ressentir de l’empathie pour ce personnage). L’attitude de Penda aurait pu sembler énervante aussi, d’être à ce point « envoutée » (ce n’est pas le mot) par cet homme. Mais non, bizarrement je l’ai lue, pas forcément comprise, mais je ne l’ai pas jugée.

En lisant l’épilogue on se dit que ce n’est pas la fin, le récit donne comme un goût de « to be continued ». Ce que l’autrice a confirmé dans le Podcast Après la Première Page.

Cette histoire m’a énormément touchée et j’ai terminé le livre avec  douleur et soulagement. Pourtant, je dois avouer à contrecœur que la lecture de ce roman n’a pas été facile, c’est un livre de 350 pages et, à plusieurs reprises, je me suis ennuyée pendant la lecture. J’étais dans l’attente d’un rebondissement, que quelque chose ranime cette famille, les rendent à nouveau vivants. J’ai repris du plaisir à partir des trois-quarts du livre.

Néanmoins, la plume d’Aminata AIDARA est magnifique et poétique. L’écriture est agréable mais presque trop douce pour moi, le rythme trop lent.

Le livre contient également beaucoup de références littéraires, de Léonora Miano à Felwine Sarr, il donne envie de lire plus et de découvrir les auteurs et autrices cité-e-s.

Concernant le livre en tant qu’objet, je suis une personne qui est très attachée à ses livres et j’aime d’ailleurs posséder les livres que j’ai lu et qui m’ont plu. J’aime écrire dedans, souligner, mettre des notes. Je dois dire que je n’ai pas vraiment aimé cette édition, ni les marges, ni la police… J’imagine que ça peut paraitre étrange comme remarque mais quand on aime nos livres en tant qu’objets ces considérations matérielles ont aussi leur importance.

* * *

Citations 

« Estelle, le passé que je ne connais pas me rend fou » p.87

« Je suis quelqu’un de libre. Je suis donc seule. Je sais depuis la nuit des temps que ces deux choses sont liées , à la vie et à la mort. Malgré cela, je suis convaincue que tous, on doit chercher à être libres dans notre tête. Pour nous intégrer réciproquement. Vraiment. Et pour qu’un jour se dégage une quelconque forme de paix. » p. 89

« Je suis quelqu’un qui naît en pleurant » p. 93 

« Vous vous préoccupez tant en Occident ! Sou pleurez à l’avance pour des pertes éventuelles, vous êtes la proie de votre anxiété pour des projets que vous n’avez même pas commencés » p. 101 

« Et si vous choisissez l’athéisme, je vous souhaite d’être guidées et soutenues par le plus Grand Espoir, parceque pour croire seulement en l’Homme il en faudra beaucoup plus que toutes les religions du monde » p. 103

« La distance c’est sentir ma mère dans le coeur, le seul endroit qu’elle se retrouve à habiter, et crier à son retour, serait-ce qu’en rêve » p. 105 

« Une fois rentré, j’espérais quelqu’un me demande de raconter quelque chose sur mes lumières et mes rêves. J’aurais eu beaucoup, beaucoup à raconter. Mais personne ne l’a fait donc je n’ai rien dit » p. 124

« L’Atlantique est notre histoire. Pour ça je te demande de me répondre. De m’aider à dompter ce passé si résolu, traître, charmeur. Seulement ensemble, on réussira é nager, et donc à vivre. Et puis, peut-être, s’il n’est pas trop tard, on pourra aussi oublier » p.148

 

Ne m’appelle pas Capitaine, Lyonel Trouillot

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J’ai terminé ce livre les larmes aux yeux sans trop comprendre pourquoi.

L’histoire se déroule en Haiti et nous emmène dans deux vies que tout sépare, Montagne-Noire et le Morne Dédé. Aude, la blanchette et Capitaine, la mémoire d’un quartier.

C’est un récit poétique, un rendez-vous « avec un vieux type qui a la bouche pleine de souvenirs » (p.45). Capitaine nous raconte ses morts, ses vivants, sans toujours s’adresser à son interlocutrice.

Tout le charme est dans l’écriture et dans les mots de Capitaine, c’est une lecture émouvante. En dire plus sur ce livre serait briser le charme.

Citations 

« Ne m’appelle pas Capitaine. N’en déplaise aux poètes, mes chagrins jamais n’ont eu le pied marin. » p. 13

« Les dimensions réguliers, ça ne fait pas partie des choses de la vie. Dans la réalité, tout est toujours trop grand ou trop petit, vient trop tôt ou trop tard, enfle ou rapetisse. » p.35

« Essayer, c’est un verbe très paresseux quand il s’agit d’actions qui relèvent de la décision. Les choses du gré se s’essayent pas, elles se réalisent. Si quelqu’un te demande la lune, tu peux dire que par amour, sans être certaine de réussir, tu vas quand même essayer. La lune ne dépend pas de toi. Elle a sa fierté et garde ses distances. » p.43

« Maxime, c’est moi. Moins par le sang que par cette condition commune que fut l’enfance. » p.138

Frères d’âme, David Diop

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J’attendais avec impatience la sortie de ce livre qui parlait de la guerre du point de vue d’un tirailleur sénégalais. Je n’ai malheureusement pas apprécié cette lecture, j’ai trouvé le style répétitif et surfait. Par la vérité de Dieu, je ne supportais plus cette phrase au bout de 60 pages. De plus, j’ai eu de la peine à saisir certaines des métaphores, comme les descriptions de la Tranchée comme sexe féminin (really ?).

J’ai ensuite écouté la présentation de David DIOP, il a dit avoir voulu écrire ce livre après avoir lu des lettres de poilus. Je suis alors allée lire des lettres de poilus, pour tenter de comprendre la démarche de l’auteur. Les lettres sont effectivement écrites sur un ton familier, presque du langage parlé, en abordant les souffrances et les atrocités avec une sorte de recul ou de banalisation de l’affreux. David DIOP voulait que son livre soit comme une missive d’un tirailleur sénégalais; de telles missives n’étant aujourd’hui pas accessibles ou inexistantes.

Alfa Ndiaye, le narrateur, nous écrit son amitié avec son plus que frère (c’est surtout beaucoup à travers ce prisme que ce livre est présenté). Je dois dire que je n’ai pas été particulièrement touchée par cette amitié, ça n’a pas été pour moi le point central de ce livre. J’ai surtout lu la violence de la guerre et sa folie. Alfa Ndiaye n’a que 20 ans, il est à peine adulte et jeté au plein cœur de l’horreur, à en perdre la tête. La partie la plus touchante est la partie où il évoque ses souvenirs de Gandiol au Sénégal, surtout le moment où il raconte sa séparation avec sa mère partie à la recherche de son père perdu. 

Les cigognes sont immortelles, Alain Mabanckou

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Mon premier Alain Mabanckou. Pourtant, « Verre cassé » reçu à mon 25ème anniversaire m’attendait sagement dans ma bibliothèque. Il m’a néanmoins fallu cette rentrée littéraire pour découvrir sa plume.

Les cigognes sont immortelles, le titre est poétique. Je n’avais pas lu la quatrième de couverture et ne savais donc pas du tout à quoi m’attendre.

Je suis rapidement entrée dans l’histoire racontée par Michel, un jeune adolescent du Congo-Brazzaville. L’histoire se présentait comme une fiction historique et je m’attendais à en apprendre un peu sur l’histoire du Congo. Très vite, le langage utilisé par Michel a commencé à me déranger; il a 14 ans et s’exprime plutôt comme un enfant de 9 ou 10 ans. J’ai pendant une bonne partie de ma lecture été perturbée par son langage, ne sachant pas si l’auteur avait fait ce choix à bon escient ou s’il avait tous simplement fait une sorte « d’anachronisme des âges », en oubliant la maturité dont peut faire preuve un jeune adolescent de 14 ans. De plus, Michel, le narrateur, est décrit comme un personnage extrêmement rêveur, qui perdrait souvent la monnaie de son père sur le chemin du retour de l’épicerie. Pourtant, dans ses rêveries, Michel nous raconte les enjeux politiques des Etats communistes africains, la mainmise étrangère après les guerres d’indépendances, la manière dont les politiques africaines se pensent en Europe, les relations des pays communistes africains avec l’URSS, avec Cuba, les assassinats des héros nationaux, tels que Patrice Lumumba, Michel Samora, Thomas Sankara et d’autres.

D’autres problématiques, de l’ordre de l’intime sont également abordées. Notamment la polygamie à travers le regard de la mère. On ressent sa souffrance et sa jalousie dans les piques qu’elle lance à son mari. Michel, lui, nous raconte à quel point il s’entend bien avec la première femme de son père, ainsi qu’avec ses enfants. Le décalage entre le regard de l’enfant et de l’adulte est selon moi, également une thématique récurrente de ce livre. La vision du monde de Michel semble assez binaire, il y a les bons et les méchants. Marien Ngouabi, le président congolais assassiné le 18 mars 1977, fait parti des bons, c’est un est un héros, il est son idole.

A la fin de cette lecture, j’étais partagée. Pourtant le récit ne se déroule que sur trois jours, le lendemain de l’assassinat de Marien Ngouabi et les deux jours qui ont suivis. Bien que l’auteur réussit à nous fait ressentir la tension et l’incertitude qui planent après un tel événement, il y a comme un trop plein d’informations. Alain Mabanckou évoque toutes les problématiques possibles à travers les pensées et les rêveries de Michel, c’était trop pour moi. L’auteur n’a pas laissé le temps à la fiction historique de s’installer, de faire son travail, trop de sujets et de faits historiques sont évoqués; presque comme lancés à la lectrice (ou au lecteur).

Peut-être, aurais-je pu davantage apprécier cette lecture, si j’avais, dès le départ, été plus familière avec l’histoire des Etats africains communistes et surtout, avec l’histoire du Congo-Brazzaville et du Président Marien Ngouabi ?

Citations

« Ce matin Papa Roger ne veut pas écouter La Voix de la Révolution Congolaise, il s’est branché sur La Voix de l’Amérique. Il pense que seuls les Américains savent tout ce qui se passe dans le monde. » p. 149

« Si l’enfant quitte la table avant tout le monde c’est pvrcequ’il fait chaud et qu’il veut se baigner dans la piscine comme la plupart des enfants des présidents du monde entier. » p. 177

« Quand Célestine tresse une femme, même si la femme est très vilaine de visage, elle devient brusquement belle comme la sirène Mammi Wata qui habite dans les rivières de nos villages avec sa chevelure en or et sa queue de poisson. » p. 212