Camarade Papa, Gauz

gauz_camarade

À la fin de ma lecture, je n’arrive pas à dire si j’ai apprécié ce livre. Je ne sais pas. Je n’ai pas tout compris, je dois même dire, qu’au début, je ne comprenais pas grand chose. Je n’arrivais pas à crocher au langage du petit qui s’exprime en terme socialiste pour décrire son écoles, ses « luttes de classes », et j’avais de la peine à situer Dabilly.

Je n’avais vu aucune interview de Gauz avant la lecture et avais oublié tous les résumés que j’avais lu au sujet de ce roman. Du coup, entrer dedans a été extrêmement difficile, situer les personnages, leur époque et leur histoire aussi. Ce n’est qu’après avoir écrit à Fanny, la créatrice d’Azanya que je me suis rendue compte du nombre inconsidérable de références historiques de ce roman.

En effet, le roman aborde la question de la colonisation sous un angle particulier, celui d’un prolétaire français qui nous raconte l’Afrique au moment où il s’y est retrouvé un peu par défaut, par tentative de construire une vie meilleure qu’en France, avec plus d’opportunité. Ce qui est aussi extrêmement intéressant c’est ce qu’on apprend sur la population de Grand Bassam et les interactions avec les français qui, à l’époque, n’avaient à proprement parlé pas encore réellement colonisés et aussi comment « la turista » n’épargnait déjà pas à l’époque (au Mexique la turista est appelée la vengeance de Moctezuma, nom du dernier roi aztèque vaincu par les colons espagnols).

Je pense que, pour reprendre les termes de Fanny, ce livre est une mine d’or en terme d’éléments historiques mais il m’aurait été impossible de comprendre tout ce que j’ai compris sans les explications de Gauz dans ses interviews. Je pense relire ce livre dans quelques temps pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur.

Concernant les qualités littéraires de ce roman (j’ai vu dans un commentaire que Léonora Miano regrettait que les lectrices-lecteurs ne commentent pas la qualité littéraire des œuvres qu’iels avaient lu), la plume de Gauz est directe, simple; il passe de la parole d’un enfant à des descriptions anthropologiques. D’ailleurs, sa capacité à donner vie à un homme blanc prolétaire du 18ème siècle est impressionnante.

Là où les chiens aboient par la queue, Estelle-Sarah Bulle

Wet Eye Glasses

C’est un récit polyphonique qui se déroule entre la Guadeloupe et Paris, un récit familial fait de souvenirs contés.

J’ai tout de suite aimé le rythme. Dès les premières pages, l’autrice nous plonge dans l’ambiance de Morne-Galand, ce village en Guadeloupe, ce « nulle-part », « encore aujourd’hui, les Guadeloupéens disent de Morne-Galant: « Cé la chyen ke japé pa ké », en français, c’est là où les chiens aboient par la queue« .

On comprend rapidement qu’Antoine va être le personnage fort du récit. Antoine, c’est la tante, une femme au caractère bien trempé, indépendante et libre.

Puis, chacun des membres de la famille s’exprime. Chacun-e raconte à sa manière son rapport avec les autres membres, avec Paris, avec la Guadeloupe, leur lien avec leur vieux père resté là-bas, ce que ça fait de partir.

C’est un livre magnifique, du début à la fin. La plume est belle, les personnages attachants, tout est cohérent. J’ai terminé ce roman en pleurant.

C’est un énorme coup de cœur.

Je suis quelqu’un, Aminata Aidara

product_9782072780110_195x320

C’est une histoire qui commence par la révélation d’un secret de famille, l’existence d’un enfant illégitime mort-né.

C’est l’histoire d’Estelle et de Penda, sa mère. Ce roman nous emmène dans leurs vies à elles deux.

La manière dont elles vivent leurs vies de femmes, en dehors de leur rôle de fille ou de mère. Elle nous emmène dans leurs doutes et leur souffrances. Il s’agit d’un récit intime de deux femmes.

Elles nous parlent chacunes à la première personne et certains chapitres sont contés par une narratrice omnisciente.

J’ai aimé la manière dont, très vite, Estelle, décrit sa mère, son courage. Le courage qu’a eu sa mère de poursuivre son bonheur, son amour. On a l’habitude que cela soit décrit comme une attitude émotionnelle dénouée de raisonnement logique. Ici, Estelle le décrit comme du courage « Partir comme ça, sans préavis. Abandonner tout et tout le monde pour suivre un homme, avoir le courage de le faire. » p. 50. Ce changement de perspective sur une situation de vie qui pourrait pourtant être décrite comme irrationnelle est beau.

La trame du livre est la souffrance engendrée par ce secret. Pour Estelle, c’est la découverte de ce secret, ou sa re-découverte. Pour la mère, c’est l’absence d’un enfant, le choc de sa perte et l’idée, qu’il ne serait pas mort mais enlevé. On ressent le poids de ce secret sur les relations familiales et sur les souffrances personnelles des personnages ainsi que l’impact d’un tel événement sur l’inconscient et le trauma engendré. A titre personnel, je suis persuadée que ce type de secret peut avoir des conséquences sur intergénérationnelles et que le dénouement de ces situations peut épargner des souffrances futures.

Penda nous parle également de son amour, nous suivons ses questionnements amoureux et l’attente d’un homme, Eric, pas assez mature pour assumer ses responsabilités et laisser de côté son égo-trip (oui, Eric m’a énervé et j’ai eu de la peine à ressentir de l’empathie pour ce personnage). L’attitude de Penda aurait pu sembler énervante aussi, d’être à ce point « envoutée » (ce n’est pas le mot) par cet homme. Mais non, bizarrement je l’ai lue, pas forcément comprise, mais je ne l’ai pas jugée.

En lisant l’épilogue on se dit que ce n’est pas la fin, le récit donne comme un goût de « to be continued ». Ce que l’autrice a confirmé dans le Podcast Après la Première Page.

Cette histoire m’a énormément touchée et j’ai terminé le livre avec  douleur et soulagement. Pourtant, je dois avouer à contrecœur que la lecture de ce roman n’a pas été facile, c’est un livre de 350 pages et, à plusieurs reprises, je me suis ennuyée pendant la lecture. J’étais dans l’attente d’un rebondissement, que quelque chose ranime cette famille, les rendent à nouveau vivants. J’ai repris du plaisir à partir des trois-quarts du livre.

Néanmoins, la plume d’Aminata AIDARA est magnifique et poétique. L’écriture est agréable mais presque trop douce pour moi, le rythme trop lent.

Le livre contient également beaucoup de références littéraires, de Léonora Miano à Felwine Sarr, il donne envie de lire plus et de découvrir les auteurs et autrices cité-e-s.

Concernant le livre en tant qu’objet, je suis une personne qui est très attachée à ses livres et j’aime d’ailleurs posséder les livres que j’ai lu et qui m’ont plu. J’aime écrire dedans, souligner, mettre des notes. Je dois dire que je n’ai pas vraiment aimé cette édition, ni les marges, ni la police… J’imagine que ça peut paraitre étrange comme remarque mais quand on aime nos livres en tant qu’objets ces considérations matérielles ont aussi leur importance.

* * *

Citations 

« Estelle, le passé que je ne connais pas me rend fou » p.87

« Je suis quelqu’un de libre. Je suis donc seule. Je sais depuis la nuit des temps que ces deux choses sont liées , à la vie et à la mort. Malgré cela, je suis convaincue que tous, on doit chercher à être libres dans notre tête. Pour nous intégrer réciproquement. Vraiment. Et pour qu’un jour se dégage une quelconque forme de paix. » p. 89

« Je suis quelqu’un qui naît en pleurant » p. 93 

« Vous vous préoccupez tant en Occident ! Sou pleurez à l’avance pour des pertes éventuelles, vous êtes la proie de votre anxiété pour des projets que vous n’avez même pas commencés » p. 101 

« Et si vous choisissez l’athéisme, je vous souhaite d’être guidées et soutenues par le plus Grand Espoir, parceque pour croire seulement en l’Homme il en faudra beaucoup plus que toutes les religions du monde » p. 103

« La distance c’est sentir ma mère dans le coeur, le seul endroit qu’elle se retrouve à habiter, et crier à son retour, serait-ce qu’en rêve » p. 105 

« Une fois rentré, j’espérais quelqu’un me demande de raconter quelque chose sur mes lumières et mes rêves. J’aurais eu beaucoup, beaucoup à raconter. Mais personne ne l’a fait donc je n’ai rien dit » p. 124

« L’Atlantique est notre histoire. Pour ça je te demande de me répondre. De m’aider à dompter ce passé si résolu, traître, charmeur. Seulement ensemble, on réussira é nager, et donc à vivre. Et puis, peut-être, s’il n’est pas trop tard, on pourra aussi oublier » p.148

 

L’âge d’or, Diane Mazloum

9782709663199-001-T.jpeg

Sur le bandeau de couverture (illustré par Lamia Ziadé), Georgina du Liban, première femme du Moyen-Orient a avoir reçu le titre de Miss Univers en 1971 et Ali Hassan Salameh, leader palestinien du groupe Septembre noir, puis bras droit de Yasser Arafat.

L’âge d’or, c’est l’histoire improbable et pourtant véridique de la rencontre et l’histoire d’amour entre Georgina et Ali Hassan.

C’est un roman léger et grave qui retrace 13 ans d’histoire du Liban. Entre les soirées arrosées à l’Acapulco et les bombes, la vie dans les quartiers chrétiens aisés de Beyrouth, la lutte pour la cause palestinienne, c’est l’histoire d’un minuscule pays qui devient le terrain d’affrontements et d’une terrible guerre civile.

C’est les antagonismes qui font le Liban et cette union entre deux êtres que tout semble séparer en est la plus belle métaphore.

Ce roman est un véritable coup de coeur.

* * *

Citations 

« Monsieur Tyan, dont la devise est, « Vivons nos clichés sans complexes », a pris l’initiative, avec le soutien du lycée franco-libanais, de proposer des journées dont le but est d’atteindre la station de ski des Cèdres, dans le nord du pays, puis de redescendre à Beyrouth plonger en pleine mer des Rochers du Sporting Club, le tout en neuf heures chrono. » p. 42

« Le sentiment d’exil lui est tout aussi étranger. Cette mélancolie générationnelle qu’ont en commun les siens, dispersés aux quatre vents – cette « mélancolie palestinienne », comme on dit en Occident – ne vient jamais brouiller les traits de son visage, voiler la couleur de ses yeux ou faire flancher le ton de sa voix. » p. 89

« Elle a conscience de l’amour infini qu’il lui porte, mais ne peut surmonter la trahison, cette éclaboussure qui a contaminé même leurs plus beaux souvenirs. » p. 222

« Toujours aussi petit, petit comme un poing, on en fait le tour en un jour et une nuit. Comment un si petit pays a-t-il pu causer autant de dégâts ? » p. 269