Ne m’appelle pas Capitaine, Lyonel Trouillot

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J’ai terminé ce livre les larmes aux yeux sans trop comprendre pourquoi.

L’histoire se déroule en Haiti et nous emmène dans deux vies que tout sépare, Montagne-Noire et le Morne Dédé. Aude, la blanchette et Capitaine, la mémoire d’un quartier.

C’est un récit poétique, un rendez-vous « avec un vieux type qui a la bouche pleine de souvenirs » (p.45). Capitaine nous raconte ses morts, ses vivants, sans toujours s’adresser à son interlocutrice.

Tout le charme est dans l’écriture et dans les mots de Capitaine, c’est une lecture émouvante. En dire plus sur ce livre serait briser le charme.

Citations 

« Ne m’appelle pas Capitaine. N’en déplaise aux poètes, mes chagrins jamais n’ont eu le pied marin. » p. 13

« Les dimensions réguliers, ça ne fait pas partie des choses de la vie. Dans la réalité, tout est toujours trop grand ou trop petit, vient trop tôt ou trop tard, enfle ou rapetisse. » p.35

« Essayer, c’est un verbe très paresseux quand il s’agit d’actions qui relèvent de la décision. Les choses du gré se s’essayent pas, elles se réalisent. Si quelqu’un te demande la lune, tu peux dire que par amour, sans être certaine de réussir, tu vas quand même essayer. La lune ne dépend pas de toi. Elle a sa fierté et garde ses distances. » p.43

« Maxime, c’est moi. Moins par le sang que par cette condition commune que fut l’enfance. » p.138

La belle de Casa, In Koli Jean Bofane

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Le titre est accrocheur, la couverture aussi; Keziah Jones, une clope à la main, photographié par Hassan Hajjaj.

Qui a tué Ichrak ? C’est toute la question de ce roman.

Ichrak, c’est une jeune marocaine, fille unique d’une mère un peu sorcière. Comme une sorte de polar, In Koli Jean Bofane va nous emmener dans la vie de Casa, les cafés, les commerces, les postes de polices, les ruelles, les immeubles et à l’intérieur des appartements, tout ça, jusqu’au coupable.

C’est Sese, jeune congolais de Kinshasa, qui se retrouve à Casa, alors qu’on lui avait promis la Normandie, qui va mener sa propre enquête. A travers son histoire, le thème de la migration est abordé, le racisme anti-noir dans les pays du Maghreb, la gentrification, ainsi que les questionnements sur les relations Nord-Sud.

Ce n’est pas tout, ce livre c’est aussi une ode à des artistes africain-e-s, le récit fait référence à plusieurs classiques, la déesse Oum Kalthoum, l’écrivaine Assia Djebar, Mohammed Choukri ou encore Kaoutar Harchi.

La narration fait penser à une caméra portée sur l’épaule, on entre dans la vie des personnage, dans leurs histoires intimes, on passe d’un plan à l’autre en ressortant par la cour. Le style est frais et l’écriture entraînante.

Cependant, il y a quand même quelque chose qui m’a dérangé au fur et à mesure de ma lecture.

D’un point de vue féministe 

Les femmes sont exagérément décrites à travers le prisme du désir, pas une seule n’y échappe. Elles sont toutes, d’une manière ou d’une autre, objets de désir, des femmes fatales, qui hypnotisent et envoûtent les hommes. Les hommes, face à elles, se retrouvent dépossédés de leur capacité de discernement, ils perdent la tête, n’arrivent plus à se contrôler et sont totalement « victimes » de ces femmes à la beauté menaçante.

On en vient à se demander pourquoi l’auteur insiste autant, ça en devient irritant. C’est dommage, parceque ce roman a tout pour plaire.

Néanmoins, j’ai tellement apprécié le style que je me suis procurée Congo Inc. du même auteur. A suivre donc…

Citations

« Parce qu’à Casablanca, la pauvreté était insolente, elle ne se dissimulait pas derrière un périphérique, elle faisait face à la richesse, celle qui s’affichait par des parois de béton et de verre conçues par des architectes prestigieux. » p. 18 

« Personne n’a jamais bénéficié d’une telle publicité, même pas Nike, ni Adidas. Celle de Coca Cola, c’est de la petite bière à côté de la nôtre. Depuis le 11 septembre 2001, on ne parle que du monde arabe-musulman. Les Arabes par-ci, les Arabes par-là: Le Titanic et la guerre de Sécession ? C’est eux. Hiroshima et Fukushima ? C’est leur faute. Le changement climatique ? Pas besoin de demander. (…) » p. 79 

« (…) Sese avait souvent pensé à fuir son pays, le Congo, où aucun avenir ne se profilait à cause du coltan, du pétrole qui arrivent, de l’éthique des opposants. Il voulait aller voir là où les gens jouissaient de ces matériaux, mais jamais il n’avait échafaudé un quelconque plan. » p. 126 

« Il fallait éviter les noms à consonance asiatique, c’était notoire, ce n’était pas dans cette partie du monde que les Européennes allaient faire leur shopping s’agissant de sexe et d’amour. » p. 184 

 

Le jour où Nina Simone a cessé de chanter, Darina Al Joundi et Mohamed Kacimi

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C’est un magnifique livre qui mêle l’historique à l’intime.

Darina Al Joundi nous raconte son père, la guerre au Liban, Arnoun, Beyrouth, l’exil, Bagdad, Fairouz et encore l’exil. Elle nous explique aussi, comment, d’un jour à l’autre elle est devenue musulmane alors qu’athée. Elle nous décrit le Liban, ses guerres, ses effondrements et ses redressements. Tout ça, c’est jusqu’à la moitié du livre. Elle nous décrit Beyrouth comme la plus belle ville du monde. Elle m’a rappelé mes premières vacances seule avec mon père. C’était en 2009, trois ans après la guerre de l’été 2006 et une année après les conflits de 2008. Les bâtiments qui longeaient l’aéroport portaient encore l’impact des bombes. A part cet endroit précis, le pays semblait rétabli (le Liban est petit et en un jour nous avions parcouru de Baalbek à Tyr), la vie avait repris son cours et des immeubles demandaient à être construit sur la côte. Darina Al-Joundi appelle cela l’amnésie, j’avais plutôt perçu cela comme de la résistance.

Au départ, on ne se rend pas compte à quel point Darina va nous faire descendre avec elle dans les tréfonds de son enfer. Sa vie et ses anecdotes me faisaient sourire, sa manière de raconter rendait la tragédie légère. Au fur et à mesure des pages, elle nous emmène dans les recoins de sa vie de plus en plus glauques, plus la guerre avance, plus on a la nausée et plus Darina sombre. Ça ne s’arrête pas avec l’accord de paix du 17 mai 1983. Elle nous fait assister à sa noyade dans l’alcool, la drogue et les relations amoureuses violentes. Elle nous emmène avec elle dans l’internat psychiatrique de la Soeur Thérèse à Jounieh. Darina Al-Joundi nous raconte comment la plus belle ville du monde peut devenir la plus immonde.

Citations

« Le soleil déclinait sur la mer. Devant l’immeuble, mon père souriant m’attendait avec un bouquet de fleurs et des Tampax. » p. 59 

« Nayla, qui tenait à passer la nuit chez une de ses amies, s’est heurtée à son refus. Ecoeurée par ce père libertin devenu liberticide, elle a tenté de se suicider en avançant une boîte d’aspre. Effrayée, j’ai voulu alerter mon père. Il a couru dans la chambre et, voyant la boite d’aspro vide, il a dit: – Qu’elle crève, si elle veut se suicider pour passer la nuit chez une copine. » p. 61 

« A part le bruit des bombes, le quartier était secoué parfois par les cris des supporters de foot. C’étaient les derniers jours de la coupe du monde et tout le Liban était rivé devant la télé. » p. 88 

 

Bye Bye Babylone, Lamia Ziadé

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La première fois que j’ai vu le nom de Lamia Ziadé, c’était à la Librairie du Boulevard à Genève. C’était au début de l’année 2016 et son premier roman graphique Ô nuit, Ô mes yeux: Le Caire, Beyrouth, Damas, Jérusalem venait de paraître peu de temps avant. La magnifique couverture, et bien sûre le thème abordé, ont tout de suite attiré mon attention. Je ne l’ai pourtant pas acheté, le livre paraissait trop parfait, un roman graphique qui parle de musique et d’orient, c’était suspect.

Depuis, j’avais plusieurs fois entendu parlé de ses livres et avais notamment entendu de très bons échos.

C’est pourtant par hasard, en cherchant des livres à emprunter à la bibliothèque féministe Filigrane que j’ai réellement découvert cette autrice et ses magnifiques dessins en empruntant Bye Bye Babylone.

Dans ce livre, Lamia Ziadé nous raconte la guerre, le Liban, Beyrouth, l’innocence de l’enfance et tellement d’autre chose. C’est un roman qui se regarde et se lit et qui nous plonge dans une espèce de mélancolie.

C’est un coup de coeur.

Frères d’âme, David Diop

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J’attendais avec impatience la sortie de ce livre qui parlait de la guerre du point de vue d’un tirailleur sénégalais. Je n’ai malheureusement pas apprécié cette lecture, j’ai trouvé le style répétitif et surfait. Par la vérité de Dieu, je ne supportais plus cette phrase au bout de 60 pages. De plus, j’ai eu de la peine à saisir certaines des métaphores, comme les descriptions de la Tranchée comme sexe féminin (really ?).

J’ai ensuite écouté la présentation de David DIOP, il a dit avoir voulu écrire ce livre après avoir lu des lettres de poilus. Je suis alors allée lire des lettres de poilus, pour tenter de comprendre la démarche de l’auteur. Les lettres sont effectivement écrites sur un ton familier, presque du langage parlé, en abordant les souffrances et les atrocités avec une sorte de recul ou de banalisation de l’affreux. David DIOP voulait que son livre soit comme une missive d’un tirailleur sénégalais; de telles missives n’étant aujourd’hui pas accessibles ou inexistantes.

Alfa Ndiaye, le narrateur, nous écrit son amitié avec son plus que frère (c’est surtout beaucoup à travers ce prisme que ce livre est présenté). Je dois dire que je n’ai pas été particulièrement touchée par cette amitié, ça n’a pas été pour moi le point central de ce livre. J’ai surtout lu la violence de la guerre et sa folie. Alfa Ndiaye n’a que 20 ans, il est à peine adulte et jeté au plein cœur de l’horreur, à en perdre la tête. La partie la plus touchante est la partie où il évoque ses souvenirs de Gandiol au Sénégal, surtout le moment où il raconte sa séparation avec sa mère partie à la recherche de son père perdu. 

Les cigognes sont immortelles, Alain Mabanckou

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Mon premier Alain Mabanckou. Pourtant, « Verre cassé » reçu à mon 25ème anniversaire m’attendait sagement dans ma bibliothèque. Il m’a néanmoins fallu cette rentrée littéraire pour découvrir sa plume.

Les cigognes sont immortelles, le titre est poétique. Je n’avais pas lu la quatrième de couverture et ne savais donc pas du tout à quoi m’attendre.

Je suis rapidement entrée dans l’histoire racontée par Michel, un jeune adolescent du Congo-Brazzaville. L’histoire se présentait comme une fiction historique et je m’attendais à en apprendre un peu sur l’histoire du Congo. Très vite, le langage utilisé par Michel a commencé à me déranger; il a 14 ans et s’exprime plutôt comme un enfant de 9 ou 10 ans. J’ai pendant une bonne partie de ma lecture été perturbée par son langage, ne sachant pas si l’auteur avait fait ce choix à bon escient ou s’il avait tous simplement fait une sorte « d’anachronisme des âges », en oubliant la maturité dont peut faire preuve un jeune adolescent de 14 ans. De plus, Michel, le narrateur, est décrit comme un personnage extrêmement rêveur, qui perdrait souvent la monnaie de son père sur le chemin du retour de l’épicerie. Pourtant, dans ses rêveries, Michel nous raconte les enjeux politiques des Etats communistes africains, la mainmise étrangère après les guerres d’indépendances, la manière dont les politiques africaines se pensent en Europe, les relations des pays communistes africains avec l’URSS, avec Cuba, les assassinats des héros nationaux, tels que Patrice Lumumba, Michel Samora, Thomas Sankara et d’autres.

D’autres problématiques, de l’ordre de l’intime sont également abordées. Notamment la polygamie à travers le regard de la mère. On ressent sa souffrance et sa jalousie dans les piques qu’elle lance à son mari. Michel, lui, nous raconte à quel point il s’entend bien avec la première femme de son père, ainsi qu’avec ses enfants. Le décalage entre le regard de l’enfant et de l’adulte est selon moi, également une thématique récurrente de ce livre. La vision du monde de Michel semble assez binaire, il y a les bons et les méchants. Marien Ngouabi, le président congolais assassiné le 18 mars 1977, fait parti des bons, c’est un est un héros, il est son idole.

A la fin de cette lecture, j’étais partagée. Pourtant le récit ne se déroule que sur trois jours, le lendemain de l’assassinat de Marien Ngouabi et les deux jours qui ont suivis. Bien que l’auteur réussit à nous fait ressentir la tension et l’incertitude qui planent après un tel événement, il y a comme un trop plein d’informations. Alain Mabanckou évoque toutes les problématiques possibles à travers les pensées et les rêveries de Michel, c’était trop pour moi. L’auteur n’a pas laissé le temps à la fiction historique de s’installer, de faire son travail, trop de sujets et de faits historiques sont évoqués; presque comme lancés à la lectrice (ou au lecteur).

Peut-être, aurais-je pu davantage apprécier cette lecture, si j’avais, dès le départ, été plus familière avec l’histoire des Etats africains communistes et surtout, avec l’histoire du Congo-Brazzaville et du Président Marien Ngouabi ?

Citations

« Ce matin Papa Roger ne veut pas écouter La Voix de la Révolution Congolaise, il s’est branché sur La Voix de l’Amérique. Il pense que seuls les Américains savent tout ce qui se passe dans le monde. » p. 149

« Si l’enfant quitte la table avant tout le monde c’est pvrcequ’il fait chaud et qu’il veut se baigner dans la piscine comme la plupart des enfants des présidents du monde entier. » p. 177

« Quand Célestine tresse une femme, même si la femme est très vilaine de visage, elle devient brusquement belle comme la sirène Mammi Wata qui habite dans les rivières de nos villages avec sa chevelure en or et sa queue de poisson. » p. 212