Moi, Tituba sorcière…, Maryse Condé

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Partant d’une archive des procès des Sorcières de Salem qui commencèrent en 1692, Maryse Condé réécrit et donne vie à Tituba, une femme noire esclave condamnée pour sorcellerie lors de ces mêmes procès et invisibilisée par l’Histoire.

A la manière d’un conte, Tituba retrace son histoire, sa naissance, son départ à Boston puis Salem, son procès et, finalement, son retour à la Barbade, son île natale. Ce roman est l’histoire de toute une vie. Tituba nous conte ses amours et ses espoirs.

En discutant avec une amie, celle-ci me fît remarquer à quel point Tituba était naïve, elle ne cessait de croire en l’amour et aux hommes et se laissait aller à son instinct et tous ses désirs. Tituba est souvent présenté comme un personnage éminemment féministe. Pourtant, ce n’est pas comme cela que semble la percevoir Maryse Condé, pour qui Tituba a trop grand goût des hommes pour qu’on puisse faire d’elle une féministe (Maryse Condé, La vie sans fards, 2012, p. 235)

Dans La vie sans fards, Maryse Condé écrit ceci à propos de son roman Moi, Tituba, sorcière noire de Salem:

Aux Etats-Unis, la signification provocatrice, largement parodique et moqueuse de ce roman, fut quelque peu occultée par la belle préface d’Angela Davis, un peu trop sérieuse et grave à mon gré. (Maryse Condé, La vie sans fards, 2012, p. 235)

Cette description et cette vision de son roman n’a pas manqué de me surprendre. Je n’avais pas perçu le côté parodique, ni moqueur, pour moi, ce roman était – et l’est encore – une réelle ode aux (in)vaincues, une contre-narration que j’aurais aimé pouvoir lire sur les bancs de l’école. Le style simple, directe et accessible de la plume de Maryse Condé m’a tout de suite plu et je l’ai lu presque d’une seule traite. Il est vrai que malgré la gravité des thématiques abordées, le roman reste léger, ce qui peut sembler paradoxal et presque déroutant.

Ce roman a été un réel coup de coeur, une révélation, le roman que j’avais attendu de lire toute ma vie. Il m’avait tellement plu, que je voulais absolument organiser une lecture publique, ce que j’avais alors proposé à une amie comédienne amateure, Mélissa Catoquessa. Elle était elle aussi sous le charme du roman et c’est de cette manière que nous avons pu mettre en place, avec le collectif dont je fais partie, le Collectif Faites des Vagues et Mélissa Catoquessa, une pièce de théâtre nommée Tituba et dont la fiche de salle faite par le Théâtre de l’Usine est visible sur l’image derrière le roman.

J’ai aussi eu l’occasion inespérée de rencontrer Maryse Condé à l’été 2019 grâce à Fanny de l’Agenda Azanya lors d’un weekend organisé par ses soins. Maryse Condé est une femme inspirante, qui ne s’arrête pas d’écrire et parle exactement comme ses livres, le même langage et la même simplicité percutante. J’ai hâte de continuer à la lire.

Camarade Papa, Gauz

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À la fin de ma lecture, je n’arrive pas à dire si j’ai apprécié ce livre. Je ne sais pas. Je n’ai pas tout compris, je dois même dire, qu’au début, je ne comprenais pas grand chose. Je n’arrivais pas à crocher au langage du petit qui s’exprime en terme socialiste pour décrire son écoles, ses « luttes de classes », et j’avais de la peine à situer Dabilly.

Je n’avais vu aucune interview de Gauz avant la lecture et avais oublié tous les résumés que j’avais lu au sujet de ce roman. Du coup, entrer dedans a été extrêmement difficile, situer les personnages, leur époque et leur histoire aussi. Ce n’est qu’après avoir écrit à Fanny, la créatrice d’Azanya que je me suis rendue compte du nombre inconsidérable de références historiques de ce roman.

En effet, le roman aborde la question de la colonisation sous un angle particulier, celui d’un prolétaire français qui nous raconte l’Afrique au moment où il s’y est retrouvé un peu par défaut, par tentative de construire une vie meilleure qu’en France, avec plus d’opportunité. Ce qui est aussi extrêmement intéressant c’est ce qu’on apprend sur la population de Grand Bassam et les interactions avec les français qui, à l’époque, n’avaient à proprement parlé pas encore réellement colonisés et aussi comment « la turista » n’épargnait déjà pas à l’époque (au Mexique la turista est appelée la vengeance de Moctezuma, nom du dernier roi aztèque vaincu par les colons espagnols).

Je pense que, pour reprendre les termes de Fanny, ce livre est une mine d’or en terme d’éléments historiques mais il m’aurait été impossible de comprendre tout ce que j’ai compris sans les explications de Gauz dans ses interviews. Je pense relire ce livre dans quelques temps pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur.

Concernant les qualités littéraires de ce roman (j’ai vu dans un commentaire que Léonora Miano regrettait que les lectrices-lecteurs ne commentent pas la qualité littéraire des œuvres qu’iels avaient lu), la plume de Gauz est directe, simple; il passe de la parole d’un enfant à des descriptions anthropologiques. D’ailleurs, sa capacité à donner vie à un homme blanc prolétaire du 18ème siècle est impressionnante.

Là où les chiens aboient par la queue, Estelle-Sarah Bulle

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C’est un récit polyphonique qui se déroule entre la Guadeloupe et Paris, un récit familial fait de souvenirs contés.

J’ai tout de suite aimé le rythme. Dès les premières pages, l’autrice nous plonge dans l’ambiance de Morne-Galand, ce village en Guadeloupe, ce « nulle-part », « encore aujourd’hui, les Guadeloupéens disent de Morne-Galant: « Cé la chyen ke japé pa ké », en français, c’est là où les chiens aboient par la queue« .

On comprend rapidement qu’Antoine va être le personnage fort du récit. Antoine, c’est la tante, une femme au caractère bien trempé, indépendante et libre.

Puis, chacun des membres de la famille s’exprime. Chacun-e raconte à sa manière son rapport avec les autres membres, avec Paris, avec la Guadeloupe, leur lien avec leur vieux père resté là-bas, ce que ça fait de partir.

C’est un livre magnifique, du début à la fin. La plume est belle, les personnages attachants, tout est cohérent. J’ai terminé ce roman en pleurant.

C’est un énorme coup de cœur.

Je suis quelqu’un, Aminata Aidara

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C’est une histoire qui commence par la révélation d’un secret de famille, l’existence d’un enfant illégitime mort-né.

C’est l’histoire d’Estelle et de Penda, sa mère. Ce roman nous emmène dans leurs vies à elles deux.

La manière dont elles vivent leurs vies de femmes, en dehors de leur rôle de fille ou de mère. Elle nous emmène dans leurs doutes et leur souffrances. Il s’agit d’un récit intime de deux femmes.

Elles nous parlent chacunes à la première personne et certains chapitres sont contés par une narratrice omnisciente.

J’ai aimé la manière dont, très vite, Estelle, décrit sa mère, son courage. Le courage qu’a eu sa mère de poursuivre son bonheur, son amour. On a l’habitude que cela soit décrit comme une attitude émotionnelle dénouée de raisonnement logique. Ici, Estelle le décrit comme du courage « Partir comme ça, sans préavis. Abandonner tout et tout le monde pour suivre un homme, avoir le courage de le faire. » p. 50. Ce changement de perspective sur une situation de vie qui pourrait pourtant être décrite comme irrationnelle est beau.

La trame du livre est la souffrance engendrée par ce secret. Pour Estelle, c’est la découverte de ce secret, ou sa re-découverte. Pour la mère, c’est l’absence d’un enfant, le choc de sa perte et l’idée, qu’il ne serait pas mort mais enlevé. On ressent le poids de ce secret sur les relations familiales et sur les souffrances personnelles des personnages ainsi que l’impact d’un tel événement sur l’inconscient et le trauma engendré. A titre personnel, je suis persuadée que ce type de secret peut avoir des conséquences sur intergénérationnelles et que le dénouement de ces situations peut épargner des souffrances futures.

Penda nous parle également de son amour, nous suivons ses questionnements amoureux et l’attente d’un homme, Eric, pas assez mature pour assumer ses responsabilités et laisser de côté son égo-trip (oui, Eric m’a énervé et j’ai eu de la peine à ressentir de l’empathie pour ce personnage). L’attitude de Penda aurait pu sembler énervante aussi, d’être à ce point « envoutée » (ce n’est pas le mot) par cet homme. Mais non, bizarrement je l’ai lue, pas forcément comprise, mais je ne l’ai pas jugée.

En lisant l’épilogue on se dit que ce n’est pas la fin, le récit donne comme un goût de « to be continued ». Ce que l’autrice a confirmé dans le Podcast Après la Première Page.

Cette histoire m’a énormément touchée et j’ai terminé le livre avec  douleur et soulagement. Pourtant, je dois avouer à contrecœur que la lecture de ce roman n’a pas été facile, c’est un livre de 350 pages et, à plusieurs reprises, je me suis ennuyée pendant la lecture. J’étais dans l’attente d’un rebondissement, que quelque chose ranime cette famille, les rendent à nouveau vivants. J’ai repris du plaisir à partir des trois-quarts du livre.

Néanmoins, la plume d’Aminata AIDARA est magnifique et poétique. L’écriture est agréable mais presque trop douce pour moi, le rythme trop lent.

Le livre contient également beaucoup de références littéraires, de Léonora Miano à Felwine Sarr, il donne envie de lire plus et de découvrir les auteurs et autrices cité-e-s.

Concernant le livre en tant qu’objet, je suis une personne qui est très attachée à ses livres et j’aime d’ailleurs posséder les livres que j’ai lu et qui m’ont plu. J’aime écrire dedans, souligner, mettre des notes. Je dois dire que je n’ai pas vraiment aimé cette édition, ni les marges, ni la police… J’imagine que ça peut paraitre étrange comme remarque mais quand on aime nos livres en tant qu’objets ces considérations matérielles ont aussi leur importance.

* * *

Citations 

« Estelle, le passé que je ne connais pas me rend fou » p.87

« Je suis quelqu’un de libre. Je suis donc seule. Je sais depuis la nuit des temps que ces deux choses sont liées , à la vie et à la mort. Malgré cela, je suis convaincue que tous, on doit chercher à être libres dans notre tête. Pour nous intégrer réciproquement. Vraiment. Et pour qu’un jour se dégage une quelconque forme de paix. » p. 89

« Je suis quelqu’un qui naît en pleurant » p. 93 

« Vous vous préoccupez tant en Occident ! Sou pleurez à l’avance pour des pertes éventuelles, vous êtes la proie de votre anxiété pour des projets que vous n’avez même pas commencés » p. 101 

« Et si vous choisissez l’athéisme, je vous souhaite d’être guidées et soutenues par le plus Grand Espoir, parceque pour croire seulement en l’Homme il en faudra beaucoup plus que toutes les religions du monde » p. 103

« La distance c’est sentir ma mère dans le coeur, le seul endroit qu’elle se retrouve à habiter, et crier à son retour, serait-ce qu’en rêve » p. 105 

« Une fois rentré, j’espérais quelqu’un me demande de raconter quelque chose sur mes lumières et mes rêves. J’aurais eu beaucoup, beaucoup à raconter. Mais personne ne l’a fait donc je n’ai rien dit » p. 124

« L’Atlantique est notre histoire. Pour ça je te demande de me répondre. De m’aider à dompter ce passé si résolu, traître, charmeur. Seulement ensemble, on réussira é nager, et donc à vivre. Et puis, peut-être, s’il n’est pas trop tard, on pourra aussi oublier » p.148

 

L’âge d’or, Diane Mazloum

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Sur le bandeau de couverture (illustré par Lamia Ziadé), Georgina du Liban, première femme du Moyen-Orient a avoir reçu le titre de Miss Univers en 1971 et Ali Hassan Salameh, leader palestinien du groupe Septembre noir, puis bras droit de Yasser Arafat.

L’âge d’or, c’est l’histoire improbable et pourtant véridique de la rencontre et l’histoire d’amour entre Georgina et Ali Hassan.

C’est un roman léger et grave qui retrace 13 ans d’histoire du Liban. Entre les soirées arrosées à l’Acapulco et les bombes, la vie dans les quartiers chrétiens aisés de Beyrouth, la lutte pour la cause palestinienne, c’est l’histoire d’un minuscule pays qui devient le terrain d’affrontements et d’une terrible guerre civile.

C’est les antagonismes qui font le Liban et cette union entre deux êtres que tout semble séparer en est la plus belle métaphore.

Ce roman est un véritable coup de coeur.

* * *

Citations 

« Monsieur Tyan, dont la devise est, « Vivons nos clichés sans complexes », a pris l’initiative, avec le soutien du lycée franco-libanais, de proposer des journées dont le but est d’atteindre la station de ski des Cèdres, dans le nord du pays, puis de redescendre à Beyrouth plonger en pleine mer des Rochers du Sporting Club, le tout en neuf heures chrono. » p. 42

« Le sentiment d’exil lui est tout aussi étranger. Cette mélancolie générationnelle qu’ont en commun les siens, dispersés aux quatre vents – cette « mélancolie palestinienne », comme on dit en Occident – ne vient jamais brouiller les traits de son visage, voiler la couleur de ses yeux ou faire flancher le ton de sa voix. » p. 89

« Elle a conscience de l’amour infini qu’il lui porte, mais ne peut surmonter la trahison, cette éclaboussure qui a contaminé même leurs plus beaux souvenirs. » p. 222

« Toujours aussi petit, petit comme un poing, on en fait le tour en un jour et une nuit. Comment un si petit pays a-t-il pu causer autant de dégâts ? » p. 269

 

Empreintes de crabe, Patrice Nganang

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Sur le bandeau de couverture, Ernest Ouandié, un leader indépendantiste camerounais exécuté en 1971.

Avant même le début du livre, Patrice Nganang, annonce la couleur:

« Le Cameroun tel que nous le connaissons, a changé de formes plusieurs fois, a été indépendant en 1960 et en 1961. Mais tous ceux qui se sont battus pour une vraie Indépendance ont été assassinés: notamment les chefs de l’UPC, Ruben Um Nyobè, Felix Moumié, et le héros de ce roman, Ernest Ouandié. Le pays a ainsi connu une terrible guerre civile de 1960 à 1970. Ses dirigeants n’aiment pas ceux qui le leur rappellent. Contre la censure, les écrivains, les intellectuels ont inventé plusieurs systèmes d’écriture, dont l’écriture bagam, bamiléké donc, utilisée par certains personnages de ce roman. Ces écrivains, s’ils ne sont pas traités de fous, sont jetés en prison ou ont quitté le pays. »

En grande amatrice de fiction historique et ne connaissant pas grand chose (si ce n’est, rien) sur l’histoire du Cameroun et de l’histoire de sa  (non)-indépendance, je me suis très vite réjouis de cette lecture.

C’est le récit d’une famille: Tanou, sa femme et leur fille vivent aux Etats-Unis et font venir le « Vieux-Père » de Tanou, Nithap qui accepte de quitter Bangwa, ville du pays Bamiléké au Cameroun, pour venir passer du temps auprès d’eux suite à un accident de la circulation qui tue sa femme.

En arrivant chez son fils, aux Etats-Unis, Nithap fait la rencontre des voisins, le Poète et sa femme, Céline qui est d’origine française. Son fils, Tanou, est agacé par l’attitude familière de son père et la proximité qu’il entretient avec ses voisins et la manière dont celui-ci n’hésite pas à faire référence à ses connaissances sur la France pour installer (de manière inconsciente ?) ce lien de proximité. Pourquoi son père s’entête-t-il à faire référence à la France ? Si leurs références sont si semblables aujourd’hui c’est à cause d’une histoire commune, celle de la colonisation, une histoire d’oppression, de répression et de luttes.

Très vite, on se rend compte que la relation père-fils est faite de non-dits et de mystères.

En effet, Tanou se rend compte qu’il ne connaît que très peu l’histoire personnelle de son père, ses souffrances, ainsi que son rôle pendant la guerre civile au Cameroun. C’est notamment grâce à ses voisins et une histoire d’adultère que Tanou finit par en savoir plus sur son passé, sur l’histoire des Bamiléké.

A travers cette histoire familiale, Patrice Nganang nous plonge dans les années 60 au Cameroun, dans la guerre civile, dans la lutte pour une vraie Indépendance et le rôle de la France ainsi que les atrocités commises durant cette période avec l’aide des autorités camerounaises à l’encontre des Bamiléké. C’est aussi une histoire d’exil et de déracinement.

Nithap, le Vieux-Père, personnage principal de ce roman nous emmène dans ses souvenirs et fait des vas-et-viens entre le passé et le présent. Infirmier au Cameroun dans les années 60, la lectrice comprend comment cet homme est devenu maquisard malgré lui, comment il s’est rallié à une cause par la force des choses.

J’ai vraiment apprécié ce livre qui a été pour moi une porte d’entrée sur l’histoire récente du Cameroun. Néanmoins, j’ai trouvé difficile à certains moments de saisir les enjeux, de comprendre le rôle des acteurs de cette période de l’histoire. Moi qui reprochait à Michel d’être binaire, je dois avouer avoir à un moment donné cherché à comprendre qui étaient les « bons et les méchants ». C’est à ce moment, comme s’il avait lu dans mes pensées, que le narrateur m’a répondu:

« Une guerre civile est toujours complexe, et la Presse du Cameroun ne permettait pas de le comprendre. Comme ce serait facile, si la réponse était aussi claire que Noirs contre Blancs, Terroristes contre Français, Béti contre Bamiléké, Anglos contre Francos, ou quoi d’autres, Musulmans contre Chrétiens? » p. 434

Sur plusieurs points, ce roman m’a fait pensé au livre de Boubacar Boris Diop, Murambi le livre des ossements. La manière dont Boubacar Boris Diop décrit le rôle de la France, de Paris, comment « Ils fabriquent dans leurs bureaux des chefs d’Etat africains. » p.130

Ce récit met également en avant la schizophrénie des autorités camerounaises qui ont fini par déclarer Ernest Ouandié héro national, alors que c’est le même gouvernement qui l’a éliminé.

Je m’attendais néanmoins à encore plus de contexte, encore plus d’histoires. Certains moments dans le présent de leur vie aux Etats-Unis m’ont paru longs; comme Tanou j’avais envie que Nithap se dévoile encore plus, qu’il raconte davantage. Je m’attendais surtout à ce que Ernest Ouandié soit réellement le personnage principal de ce roman, ce qui n’est pas le cas.

J’ai eu le besoin de compléter ma lecture. Aujourd’hui, la compréhension de l’histoire du Cameroun me semble nécessaire à la compréhension de la politique néocoloniale de la France en Afrique. Je vais ainsi continuer mes lectures.

Mes prochaines lectures sur le sujet:

Les Maquisards de Hemley Boum

Confidences de Max Lobe

La guerre du Cameroun, l’invention de la Françafrique (1948 – 1971) de Thomas DELTOMBE, Manuel DOMERGUE, Jacob TATSITSA

Conférence organisée par l’UPAF pour compléter cette lecture:

1 Guerre du Cameroun (1956 – 1964), peut-on parler de génocide ?

2 Guerre du Cameroun, qu’appelle-t-on un génocide ? 

N°3 Guerre du Cameroun, histoire d’une censure persistante

N°4 Rwanda – Cameroun, réflexion sur deux tragédies africaines 

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Citations

« Avoir des enfants veut dire qu’on a volontairement abandonné sa liberté d’écrire seul le récit de sa vie » p. 90

« Le chantage comme arme parentale, devant la tyrannie de l’enfance. La négociation du tout dernier périmètre de pouvoir, même Foucault n’aurait pas pu imaginer ça, lui qui s’est bâti un paradis vide de tout enfant. » p. 313

« […] et l’exil ne guérit pas du mauvais coeur. » p. 338

« […] Le colonialisme. L’esclavage. Les travaux forcés. Nous sommes des sinistrés d’une très longue catastrophe. Il y a longtemps que l’histoire a été arrachée de nos mains. Il nous revient de la recomposer, de nous réapproprier ses mailles, de la façonner. » p.375

« Les collines vertes de ce pays lui apparaissaient infinies, et leur beauté blessante. » p. 394

 

Règles douloureuses, Kopano Matlwa

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Dès le départ, le titre m’a plu. J’avais hâte de découvrir ce livre que je voyais sans cesse dans les recommandations des nombreuses bookstragrameuses que je suis. Le texte est traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Camille PAUL.

Masecheba est une jeune femme sud-africaine médecin. L’auteure nous permet d’accéder  à son journal intime, à ce qu’on écrit et que personne jamais n’est censé lire, comme le dit Masecheba elle-même. C’est donc une écriture intime. C’est aussi beaucoup à Dieu qu’elle s’adresse.

On comprend qu’elle est au bord de la dépression, elle est fatiguée, fatiguée par son métier si prenant émotionnellement. Fatiguée d’avoir aussi l’impression de ne pas réussir à être touchée par des situations qui sont difficile et parfois même sans espoir. Elle explique comment elle n’arrive pas à ressentir ce qu’elle voudrait ressentir et comment cela la fait culpabiliser. Elle écrit son rapport à son métier, le fait d’avoir des vies entre les mains, ses questionnements sur la manière d’exercer: être touchée par tous les patients ? « Un coeur a-t-il assez de place pour accueillir toute leur douleur (et la sienne propre), leurs os brisés (et sa propre âme en miettes), leur gêne (et sa propre honte)? » p.112.

Elle écrit aussi sur Nyasha, son amie et colocataire nigériane. Elle nous raconte ses combats, ses révoltes, ses énervements et comment Nyasha essaie de la bousculer, de la rendre plus « réactive » fasse aux injustices et au monde qui l’entoure.

Masecheba, elle, ne veut pas être un symbole politique, elle ne veut pas être définie comme une jeune femme noire, libre. Elle veut simplement être elle, sans étiquette quelconque. Elle ne veut pas être le porte-drapeau d’une cause. Elle aimerait au contraire être considérée dans son individualité, que ses réussites soient reconnues et son parcours validé. C’est ce qui ressort pour moi de son écriture, de ce qu’elle livre à son journal. Ce besoin de pouvoir vivre son individualité. Kopano Matlwa dit d’ailleurs, lors d’un échange, que Masecheba veut simplement être une jeune qui a un impact sur la vie et le monde et cela sans prendre en considération sa race ou son genre.

A mon sens, Masecheba revendique pourtant énormément le fait d’être une femme, cela lui est d’ailleurs plusieurs fois ramené en pleine figure, notamment lorsqu’elle écrit le viol collectif qu’elle subit et auquel elle survit sur son lieu de travail.

La partie la plus touchante de ce livre est selon moi, le moment où Masecheba nous parle de la naissance de sa fille, fruit du viol, qui devient toute sa vie. Son amour et sa douceur, sa lumière dans l’obscurité, celle qui lui permet de revivre. Elle écrit la peur qu’elle avait au départ que sa fille ne transporte son fardeau, l’horreur de son viol, « mais elle ne ressemblait à rien, si ce n’est à une page vierge, à un nouveau départ. Mon nouveau départ. » p. 140

La fin du livre est vraiment magnifique, pourtant je n’ai pas eu de coup de coeur. Cela est peut être dû à la traduction. Je pense que ce livre est meilleur dans sa version originale, que l’auteure elle-même a mieux choisi les mots que et les phrases que Masecheba confie à son journal.

 

Ne m’appelle pas Capitaine, Lyonel Trouillot

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J’ai terminé ce livre les larmes aux yeux sans trop comprendre pourquoi.

L’histoire se déroule en Haiti et nous emmène dans deux vies que tout sépare, Montagne-Noire et le Morne Dédé. Aude, la blanchette et Capitaine, la mémoire d’un quartier.

C’est un récit poétique, un rendez-vous « avec un vieux type qui a la bouche pleine de souvenirs » (p.45). Capitaine nous raconte ses morts, ses vivants, sans toujours s’adresser à son interlocutrice.

Tout le charme est dans l’écriture et dans les mots de Capitaine, c’est une lecture émouvante. En dire plus sur ce livre serait briser le charme.

Citations 

« Ne m’appelle pas Capitaine. N’en déplaise aux poètes, mes chagrins jamais n’ont eu le pied marin. » p. 13

« Les dimensions réguliers, ça ne fait pas partie des choses de la vie. Dans la réalité, tout est toujours trop grand ou trop petit, vient trop tôt ou trop tard, enfle ou rapetisse. » p.35

« Essayer, c’est un verbe très paresseux quand il s’agit d’actions qui relèvent de la décision. Les choses du gré se s’essayent pas, elles se réalisent. Si quelqu’un te demande la lune, tu peux dire que par amour, sans être certaine de réussir, tu vas quand même essayer. La lune ne dépend pas de toi. Elle a sa fierté et garde ses distances. » p.43

« Maxime, c’est moi. Moins par le sang que par cette condition commune que fut l’enfance. » p.138

La belle de Casa, In Koli Jean Bofane

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Le titre est accrocheur, la couverture aussi; Keziah Jones, une clope à la main, photographié par Hassan Hajjaj.

Qui a tué Ichrak ? C’est toute la question de ce roman.

Ichrak, c’est une jeune marocaine, fille unique d’une mère un peu sorcière. Comme une sorte de polar, In Koli Jean Bofane va nous emmener dans la vie de Casa, les cafés, les commerces, les postes de polices, les ruelles, les immeubles et à l’intérieur des appartements, tout ça, jusqu’au coupable.

C’est Sese, jeune congolais de Kinshasa, qui se retrouve à Casa, alors qu’on lui avait promis la Normandie, qui va mener sa propre enquête. A travers son histoire, le thème de la migration est abordé, le racisme anti-noir dans les pays du Maghreb, la gentrification, ainsi que les questionnements sur les relations Nord-Sud.

Ce n’est pas tout, ce livre c’est aussi une ode à des artistes africain-e-s, le récit fait référence à plusieurs classiques, la déesse Oum Kalthoum, l’écrivaine Assia Djebar, Mohammed Choukri ou encore Kaoutar Harchi.

La narration fait penser à une caméra portée sur l’épaule, on entre dans la vie des personnage, dans leurs histoires intimes, on passe d’un plan à l’autre en ressortant par la cour. Le style est frais et l’écriture entraînante.

Cependant, il y a quand même quelque chose qui m’a dérangé au fur et à mesure de ma lecture.

D’un point de vue féministe 

Les femmes sont exagérément décrites à travers le prisme du désir, pas une seule n’y échappe. Elles sont toutes, d’une manière ou d’une autre, objets de désir, des femmes fatales, qui hypnotisent et envoûtent les hommes. Les hommes, face à elles, se retrouvent dépossédés de leur capacité de discernement, ils perdent la tête, n’arrivent plus à se contrôler et sont totalement « victimes » de ces femmes à la beauté menaçante.

On en vient à se demander pourquoi l’auteur insiste autant, ça en devient irritant. C’est dommage, parceque ce roman a tout pour plaire.

Néanmoins, j’ai tellement apprécié le style que je me suis procurée Congo Inc. du même auteur. A suivre donc…

Citations

« Parce qu’à Casablanca, la pauvreté était insolente, elle ne se dissimulait pas derrière un périphérique, elle faisait face à la richesse, celle qui s’affichait par des parois de béton et de verre conçues par des architectes prestigieux. » p. 18 

« Personne n’a jamais bénéficié d’une telle publicité, même pas Nike, ni Adidas. Celle de Coca Cola, c’est de la petite bière à côté de la nôtre. Depuis le 11 septembre 2001, on ne parle que du monde arabe-musulman. Les Arabes par-ci, les Arabes par-là: Le Titanic et la guerre de Sécession ? C’est eux. Hiroshima et Fukushima ? C’est leur faute. Le changement climatique ? Pas besoin de demander. (…) » p. 79 

« (…) Sese avait souvent pensé à fuir son pays, le Congo, où aucun avenir ne se profilait à cause du coltan, du pétrole qui arrivent, de l’éthique des opposants. Il voulait aller voir là où les gens jouissaient de ces matériaux, mais jamais il n’avait échafaudé un quelconque plan. » p. 126 

« Il fallait éviter les noms à consonance asiatique, c’était notoire, ce n’était pas dans cette partie du monde que les Européennes allaient faire leur shopping s’agissant de sexe et d’amour. » p. 184 

 

Le jour où Nina Simone a cessé de chanter, Darina Al Joundi et Mohamed Kacimi

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C’est un magnifique livre qui mêle l’historique à l’intime.

Darina Al Joundi nous raconte son père, la guerre au Liban, Arnoun, Beyrouth, l’exil, Bagdad, Fairouz et encore l’exil. Elle nous explique aussi, comment, d’un jour à l’autre elle est devenue musulmane alors qu’athée. Elle nous décrit le Liban, ses guerres, ses effondrements et ses redressements. Tout ça, c’est jusqu’à la moitié du livre. Elle nous décrit Beyrouth comme la plus belle ville du monde. Elle m’a rappelé mes premières vacances seule avec mon père. C’était en 2009, trois ans après la guerre de l’été 2006 et une année après les conflits de 2008. Les bâtiments qui longeaient l’aéroport portaient encore l’impact des bombes. A part cet endroit précis, le pays semblait rétabli (le Liban est petit et en un jour nous avions parcouru de Baalbek à Tyr), la vie avait repris son cours et des immeubles demandaient à être construit sur la côte. Darina Al-Joundi appelle cela l’amnésie, j’avais plutôt perçu cela comme de la résistance.

Au départ, on ne se rend pas compte à quel point Darina va nous faire descendre avec elle dans les tréfonds de son enfer. Sa vie et ses anecdotes me faisaient sourire, sa manière de raconter rendait la tragédie légère. Au fur et à mesure des pages, elle nous emmène dans les recoins de sa vie de plus en plus glauques, plus la guerre avance, plus on a la nausée et plus Darina sombre. Ça ne s’arrête pas avec l’accord de paix du 17 mai 1983. Elle nous fait assister à sa noyade dans l’alcool, la drogue et les relations amoureuses violentes. Elle nous emmène avec elle dans l’internat psychiatrique de la Soeur Thérèse à Jounieh. Darina Al-Joundi nous raconte comment la plus belle ville du monde peut devenir la plus immonde.

Citations

« Le soleil déclinait sur la mer. Devant l’immeuble, mon père souriant m’attendait avec un bouquet de fleurs et des Tampax. » p. 59 

« Nayla, qui tenait à passer la nuit chez une de ses amies, s’est heurtée à son refus. Ecoeurée par ce père libertin devenu liberticide, elle a tenté de se suicider en avançant une boîte d’aspre. Effrayée, j’ai voulu alerter mon père. Il a couru dans la chambre et, voyant la boite d’aspro vide, il a dit: – Qu’elle crève, si elle veut se suicider pour passer la nuit chez une copine. » p. 61 

« A part le bruit des bombes, le quartier était secoué parfois par les cris des supporters de foot. C’étaient les derniers jours de la coupe du monde et tout le Liban était rivé devant la télé. » p. 88